POEMS HIDE THEOREMS

Exposition personnelle à la galerie Les filles du calvaire

Commissaire de l’exposition : Gaël Charbau
5 octobre 2024 – 2 novembre 2024
galerie Les filles du calvaire, 21 rue chapon, 75003 Paris
Texte: Gaël Charbau
Photographies: Nicolas Brasseur

Avec soutien du centre national des arts plastiques (CNAP)

Le surgissement de l’intelligence artificielle dans nos routines quotidiennes est un événement probablement sans précédent dans l’histoire moderne de nos sociétés. La fulgurance de ses déclinaisons pratiques, depuis la gestion des transports, l’optimisation de l’agriculture, la génération d’images, de textes et de musiques jusqu’à la synthèse et l’imitation de textes littéraires -cette infinité d’applications des plus dérisoires aux plus déroutantes- nous fascine et nous déroute chaque jour davantage.

Comme une vague qui n’en finit pas de grossir, toutes les interactions avec le monde que nous habitons semblent désormais pouvoir passer par le filtre de ces réseaux de neurones qui accélèrent notre vie, étendent nos perceptions, se substituent à notre mémoire, déterminent nos goûts futurs et censurent nos propos dans les «places publiques» que sont les réseaux sociaux. L’IA est devenu notre inconscient et notre surmoi. Presque innocemment, les téléphones que nous collons contre nos corps nous connaissent, désormais, mieux que quiconque et surtout, mieux que nous-mêmes.

Cette révolution a pour conséquence de déposséder les artistes du geste créateur. Quand les images les plus surréalistes peuvent être créées instantanément, que des albums entiers ou des courts-métrages se générent en quelques clics, c’est bien notre perception de l’ « acte créateur » lui-même qui est remis en question. Qui crée finalement? Celui qui écrit quelques lignes de prompt, ou l’algorithme qui y répond?

Dans ses assemblages, Léo Fourdrinier parvient à retrouver ce geste essentiellement surréaliste, digne descendant des réflexions d’André Breton et du « poème-objet » où se mêlent le désir, la rencontre, le hasard, le rêve, la poésie, l’amour et la liberté. Le plus souvent, il joue sur des carambolages de formes moulées, d’objets trouvés et parfois modifiés. Volontairement « en deçà » de la perfection numérique, ses collages de volumes donnent lieu à des « objets en trop », étranges formes égarées à l’écart d’un monde de calculs et de virgules flottantes, assurément artisanales et sans parenté avec le vocabulaire monotone des imprimantes 3D.

Matter III (Patience dans l’Azur), 2024, propose par exemple la rencontre entre un moulage en plâtre inspiré d’une sculpture de Jean Bologne (moulé depuis un modèle vivant), une sphère de métal et l’ouvrage Patience dans l’Azur de l’astrophysicien Hubert Reeves. Notons que nombre des dernières pièces ont été bercées par des échanges quotidiens avec Arthur le Saux, un astrophysicien, qui a partagé avec l’artiste ses recherches et ses méthodologies de travail. Venus, 2024, met quant à elle une nouvelle fois en scène une moto, machine chère à l’artiste qui symbolise pour lui le véhicule de l’amour.

Son carénage est sculpté dans du marbre blanc de Carrare, tandis que le bouchon du réservoir figure une main d’enfant. Retrouvant là encore des racines surréalistes, tout indique que Léo Fourdrinier cherche à produire des œuvres encore plus inspirantes qu’inspirées. Ses meilleures pièces agissent comme un coup de foudre, une sorte de fulgurance visuelle, qui fonctionnerait comme si les objets qui les composent étaient aimanté les uns aux autres.
La force qui les lie entre eux relève des lois cosmiques de l’attraction et des champs magnétiques. Mais seul l’artiste sait ce qui les prédispose à cette rencontre – J’ai seul la clef de cette parade sauvage, concluait Rimbaud dans Parade. La série Gravity met en scène un simple geste : la déformation d’un visage de plâtre antique sous l’effet d’une sphère de métal, qui vient totalement bouleverser ses proportions canoniques. Improbable rencontre, évidente rencontre. Les œuvres qui peuplent l’exposition Poems hide theorems ne servent aucun propos politique, historique ou social.

Elles ne cherchent aucun prétexte. Elles ont la même froideur que celles que les machines inventent, mais elles dévoilent une sensualité que les algorithmes ignorent. Elles n’ont pas la lenteur de l’ennui moralisateur, elles ne s’embarrassent pas de discours : leur poésie est parfois même directement issue des chansons populaires (Mind and Senses Purified, 2022).

Elles nous renvoient à la juste place où nous jouissons des formes : douceur, présence, brillance, poids, couleur, matité, gratuité. Liberté. Débarrassé de toute culpabilité, il n’y a plus qu’à, enfin, regarder.

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